Journal des Forges – épisode 2
Premier titre de l’année 2017 : #MartyrsFrançais d’Alexis David-Marie.
Episode 2 : premier roman de l’année 2017
La semaine dernière, c’était l’heure des bonnes résolutions. Première résolution : tenir un journal des Forges. Pour l’instant, c’est bon. Deuxième résolution : prendre part au monde, contribuer à la conversation collective. Or, une maison d’édition ne peut contribuer à la conversation que grâce à ces livres. Je vous propose donc de parler, un peu, de #MartyrsFrançais, le deuxième roman d’Alexis David-Marie, qui est actuellement en librairie.
L’histoire : François est un homme sans histoires. Son père est tué par un migrant. Alors qu’il entreprend un patient travail de deuil, sa cousine Louise, militante d’extrême-droite cherche à provoquer un emballement médiatique autour de ce fait divers.
Je ne vous parlerai pas plus du roman en lui-même : lisez-le. En revanche, je peux vous parler, au sujet de ce roman, des raisons qui nous poussent à le publier, des raisons qui nous ont convaincus de la nécessité de ce texte, ainsi que de nos peurs et de nos espoirs alors que le livre paraît.
Les romans sont des manières d’intervenir dans le monde. Ce roman est une manière à la fois de faire prendre conscience à une partie des citoyens du péril qui nous menace tous, et c’est un effort de compréhension de ce péril.
A vrai dire, la publication d’un tel roman ne se fait pas sans une certaine appréhension. On passe des années à préparer un roman. Il est donc naturel que l’on s’attache à lui, et que l’on attende sa sortie, non plus avec une froide lucidité, mais avec un mélange et d’espoir et de peur – un mélange d’émotions.
Les peurs
Côté peur, il y avait deux craintes. Crainte que les militants de l’extrême-droite, dont l’attention se concentre beaucoup sur le réseau, ne nous embêtent. Mais, comme l’extrême-droite est davantage dans une position de combat que dans une position d’analyse, le risque s’avère très limité. Si ce roman avait été un roman d’affrontement direct, alors, il y aurait des répliques. Là, l’intelligence et la sobriété du texte n’en font pas une cible intéressante. Bien sûr, si des militants d’extrême-droite veulent nous écrire pour nous adresser des critiques, ils le peuvent. Mais le roman, dans sa partie documentaire, m’a semblé être d’une grande justesse.
Crainte d’une incompréhension « à gauche ». En effet, même si le roman ne manifeste nulle sympathie pour l’extrême-droite, ce n’est pas un roman de dénonciation directe, comme il en existe déjà beaucoup: pour partie parce que les postures de combat classique (qui consiste à peindre les gens à l’extrême-droite comme des idiots et des salauds fascistes) ont généralement pour fin de donner bonne conscience à ceux qui adoptent ces postures, mais, à terme, ne réussissent pas à endiguer la montée de la vague brune.
En gros, j’ai eu peur que l’on nous adresse le reproche: « comprendre, c’est déjà excuser ». Toutefois, alors que nous travaillions sur le roman, il y a quelques mois, un premier ministre s’est livré, semble-t-il, à une critique de la sociologie en soutenant que, effectivement, expliquer confinait à accepter. Or, en un sens, l’évidente erreur de cette assimilation des deux actions, comprendre et excuser, nous rassura et affermit en nous la conviction que, bien au contraire, il fallait toujours chercher à comprendre, et que la mauvaise passe politique de notre temps pouvait être imputée, pour partie, à des effets de cécité consentie. Pour résumer : comprendre, ce n’est jamais excuser, que ce soit quand on cherche à comprendre les terroristes ou les militants d’extrême-droite.
Les espoirs
Ainsi donc, cette peur s’est peu à peu muée en espoir, et cet espoir, c’est la promesse de ce roman. Il y a actuellement un vrai désarroi politique: qu’est-ce qui se passe? Pourquoi le Brexit? Pourquoi Trump? Pourquoi le FN est le premier parti de France? Pourquoi tout le monde n’est pas gentil, cosmopolite, libéré? Pourquoi tout le monde n’aime pas la diversité, les migrants? Si vous vous êtes déjà posé au moins une de ces questions, si vous vous êtes rendu à l’évidence qu’il n’est plus possible d’expliquer la crispation identitaire par un mélange de sottise et de méchanceté, alors, ce roman est pour vous. C’est sa promesse: contribuer à la compréhension.
Attention: c’est un vrai roman. Pas un essai. Les essais proposent des réponses, des solutions. Les romans dessinent des problèmes. Il y a une belle citation de Kierkegaard: « la vie n’est pas un problème à résoudre, mais un mystère à vivre ». Même si ce roman porte, en creux, des idées, l’usage de la fiction lui permet d’aller bien plus loin qu’un essai, en liant chaque idée, intuition, chaque choix, à des situations, à des personnes, à des émotions. Ainsi, il s’en dégage une puissance de dévoilement, de compréhension, que le meilleur des essais ne peut apporter (finalement, cette dernière assertion est la plus controversée de cette page – c’est une provocation). Bien plus, un roman est un vrai drame, un dialogue, et permet de donner voix à toutes les voix présentes – y compris à celles que l’on ne veut pas entendre.
Changer de stratégie, répondre différemment
Enfin, une dernière hésitation nous est venue, il y a deux ans, quand le travail sur ce roman a commencé du côté des Forges (l’auteur avait commencé bien avant…): pourquoi parler de cela? N’est-ce pas prêter nos forces à l’ennemi? Pourquoi ne pas plutôt allumer un contre-feu, en publiant un roman sur un contre-modèle, sur des personnages issus de la diversité? Pour deux raisons. Tout d’abord, ces contre-modèles existent déjà: les Forges n’auraient rien à apporter qui n’a pas déjà été fait et bien fait (et, en tant qu’homme blanc nanti, je crains que cela fasse un peu paternaliste de ma part d’aller dans ce sens. Plus exactement : les premiers éditeurs qui ont publié, et continuent de publier ces voix issues de la diversité, sont des pionniers. Monter aujourd’hui dans le train peut être opportuniste.). Ensuite, ces contre-modèles ne sont qu’une partie de la réponse: ils sont une forme nuancée de contre-attaque – or, pour se débarrasser d’un ennemi, il suffit parfois de le transformer un ami: de le comprendre, de comprendre ce qui le meut, et de trouver un moyen de satisfaire sa demande implicite, tout en continuant de refuser de satisfaire sa demande explicite (haine, exclusion, persécution, etc….).
Dans ce roman, il n’y a pas de solution, de happy end, de réponse à ce qu’est la demande implicite de ces millions d’hommes et de femmes qui prêtent le concours de leurs voix à la vague brune. Toutefois, il y a l’ouverture d’une discussion. Si vous pensez que cette discussion doit avoir lieu, je vous invite à lire ce roman. Et à en parler. A bien y regarder, pour celui ou celle qui s’intéresse au projet des Forges, ce petit roman incarne bien une idée politique esquissée dans le premier épisode de ce journal : au lieu de formuler avec radicalité des idées banales, il faut formuler de manière consensuelle des idées radicales. L’espoir fou, avec ce roman, serait d’intégrer dans la conversation collective toutes les voix politiques, comprendre ces voix qui nous font horreur, et les amener à abandonner leurs lubies destructrices en leur donnant autre chose.
Assez curieusement, tout ce qui précède, c’est ce que je pense, en tant qu’éditeur. L’auteur, quant à lui, a conçu le roman dans une optique différente, avec un outillage mental différent du mien. Mais je veux croire que, vivant à la même époque, face aux mêmes dangers, nous sommes parvenus, par des biais dissemblables, à des intuitions communes. Lisez ce texte et dites-nous ce que vous en pensez.
A suivre.
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