Voyager, lire, voyager
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Alejandro Ferrer, assistant éditorial aux forges de Vulcain, revient d’une fellowship à Buenos Aires.
Mi-août 2025, je rentre d’une fellowship en Argentine. « Fellowship », en anglais, c'est un mélange d'amitié, de communauté et de compagnie. Dans le monde éditorial, c'est un programme où des éditeurs venant de pays différents sont invités par un festival ou une foire du livre, souvent à l’étranger, pour se familiariser avec le contexte éditorial local, pour acquérir ou céder des droits, pour rencontrer les différents acteurs et actrices de la chaîne éditoriale du pays.
J'ai été choisi en tant que « fellow » de la Feria de Editores de Buenos Aires (FED). Il s'agit d'une foire dédiée exclusivement aux maisons d'édition indépendantes, qui a été fondée en 2013, par Víctor Malumián et Hernán López Winne des Ediciones Godot, et qui continue de croître malgré l’inflation et un gouvernement qui coupe systématiquement les aides publiques à la culture.
Grâce à l'appui de l'Institut Français et de l'Ambassade de France en Argentine, j'ai eu la possibilité de passer cinq jours à Buenos Aires, où j'ai rencontré des libraires, des autrices, des éditrices et des agentes de plusieurs pays hispanophones: Chili, Uruguay, Mexique, Colombie, Puerto Rico, Espagne, entre autres.
Ce fut également l'occasion d’en apprendre plus sur l'histoire de l'édition en Argentine, grâce à une conférence du sociologue du livre Alejandro Dujovne. Cette contextualisation nous a permis de mieux appréhender le panorama actuel de l'édition indépendante dans ce pays, afin de préparer nos rendez-vous avec les maisons inscrites aux réunions d'acquisition et cession de droits étrangers.
Cette espèce de speed-dating éditorial est un exercice assez particulier, auquel je commence à m'habituer. Il faut le préparer en amont : identifier la ligne des différentes maisons que l'on va croiser, choisir deux ou trois titres qui pourraient les intéresser pour une possible traduction, apprendre à les présenter en une dizaine de minutes et leur laisser le temps de présenter leur catalogue. Il faut privilégier la brièveté et l'écoute attentive, surtout quand on croise plus de dix éditrices et que l'on entend le pitch d'une trentaine de titres en quatre heures.
Malgré la quantité d’informations, le résultat est toujours très enthousiasmant : une production éditoriale riche, souvent inconnue en France, prête à être traduite et lue par des nouvelles lectrices. Le seul problème - et ce sont là des problèmes de riche : on a l'embarras du choix. Une année n'a que douze mois, dont deux (août et décembre) n’ont pas de publication de nouveautés. Il y a certains moments forts dans l’année, comme les rentrées d'automne et d'hiver, et d'autres moments plus compliqués, qui ne se prêtent pas à la publication de tous les titres. Il faut donc, de cette trentaine de romans, en extraire un ou deux pour en acquérir les droits en français, les traduire et les insérer dans un programme éditorial déjà chargé.
Le plus dur est de choisir, de lire rapidement pour se former une idée de chaque roman, de se rappeler les arguments présentés par l'éditrice pendant la réunion, d’équilibrer tous ces éléments pour bien choisir ses projets. Et enfin, il fait aussi apprendre à dire non, car il y aura toujours des refus, des projets qui ne correspondent pas à notre ligne éditoriale, ou qui ne trouvent pas leur place dans notre programme.
Le groupe de fellows a été systématiquement accompagné par Victoria Rodriguez Lacrouts, coordinatrice du programme de fellowship de la FED, et organisatrice, également, du Festival du Livre de Buenos Aires (qu'on appelle, tout simplement, "La Feria Grande"). On était six invités : deux maisons du Pays Basque (Bitamine et Paimela), une à Madrid (Muñeca Infinita), une italienne (Minimum Fax), une allemande (Dumont Buchverlag) et moi en tant que représentant des forges. L'ambiance était toujours conviviale, nos hôtes ont bien veillé à ce que nos assiettes (et nos verres) soient toujours pleins, et nous avons également eu le privilège d'une visite privée dans la collection du Museo de Arte Latinoamericano de Buenos Aires, où sont exposées des œuvres de Frida Kahlo, Leonora Carrington et Remedios Varo.
Ces cinq journées de communauté, d'amitié et de compagnie m'ont permis de connaître un pays avec une vie culturelle impressionnante, qui reste dynamique et riche malgré un contexte économique difficile. Je retourne en France avec une valise pleine de livres, d'alfajores et de yerba mate, et avec le besoin impérieux d'ouvrir une collection de fiction latino-américaine.
David (l’éditeur des forges de Vulcain) me donnera-t-il la permission ?