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Retrospective 2024

Pour clore 2024, l'équipe des forges de Vulcain a préparé un podcast récapitulatif. On vous parlera de ce qui nous a marqués cette année, de la rentrée littéraire, des salons, de politique et de jeu de rôle.

 

Ceci est la transcription du plus récent épisode du podcast des éditions Aux forges de Vulcain, disponible sur SoundCloud.

 

David Meulemans [00:00:01] Bonjour et bienvenue dans le nouvel épisode du podcast des éditions Aux Forges de Vulcain. C'est un numéro spécial que nous vous proposons pour clore l'année 2024 et vous offrir une petite rétrospective de ce qu'on a fait de cette année et ce qu'on a pensé de cette année. Aujourd'hui, pour discuter avec moi, il y a Alejandro Ferrer.

Alejandro Ferrer Nieto [00:00:23] Bonjour David, merci pour cette invitation.

David Meulemans [00:00:25] Et je suis David, fondateur des éditions Aux Forges de Vulcain. Alejandro Comment s'est passée cette année 2024?

Alejandro Ferrer Nieto [00:00:33] Alors je pense que cette année a été intense, un peu compliquée, mais pleine de beaux succès, de beaux projets, de textes intéressants et de belles retrouvailles.

David Meulemans [00:00:44] Oui, c'est vrai que c'est une année très particulière. Alors pour maintenir un peu de vivant dans cette émission, on ne prépare jamais rien. Donc en fait, cette rétrospective est faite sans ordre. Je pourrais reprendre de tête tous les auteurs qui ont été publiés dans l'ordre de l'année, mais ça ne serait pas intéressant. Voilà. Et d'ailleurs, c'est l'occasion de vous dire, chers auditeurices, que les Forges de Vulcain ont refait leur site internet et donc que si vous voulez le catalogue, il suffit d'aller sur le site internet. Alejandro, commençons par ça qui est la dernière actualité en date, tu nous parles un peu du site internet ?

Alejandro Ferrer Nieto [00:01:22] Oui, bien sûr. J'en profite justement parce que pour lancer ce nouveau site, j'ai écrit un petit billet sur la section blog du site auxforgesdevulcain.fr pour vous parler de l'importance du Web, de décentraliser nos pratiques sur Internet, de sortir un peu des réseaux et de revenir aux sites Web en tant que tels. Nous travaillons depuis l'année dernière et même un peu plus sur cette refonte du site qui était autant esthétique que technique. On est passés d'un site sur WordPress sur lequel on n'avait pas du tout la main, on pouvait pas modifier le thème pour plusieurs raisons techniques. Et là on est passés sur un site qui est développé sur Biblys qui est un logiciel open source. Merci à Clément et à Quentin qui ont fait et le développement web et le design de l'habillage graphique. Sur ce nouveau site, on a donc la main sur plusieurs choses, mais ça reste un point de départ. C'est quelque chose qu'on va alimenter, surtout de notre côté, David et moi, petit à petit, parce que l'importation des informations depuis l'ancien site n'est pas automatique. Donc on est preneurs de tout commentaire, on est preneurs de toute information pour que ce nouveau site, qui est quand même plus beau que le précédent, puisse être beau et utile.

David Meulemans [00:02:40] Oui, c'est vrai que c'est quelque chose à laquelle on tenait. Les forges de Vulcain ont été une maison qui a eu assez tôt un site internet, une première version en 2010, puis un beau site en 2013 et en 2013, on avait clairement un des plus beaux sites de la place de Paris. Et puis finalement, je l'ai laissé vivre sa vie et il a atteint un point où il était tellement ringard techniquement qu'il est presque devenu vintage et puis n'a jamais atteint le point d'être vintage. Et donc il était juste un peu ringard. Il fonctionnait pas très très bien et surtout, je pense qu'il a été développé au moment où certes il avait déjà des smartphones, mais c'était une époque où les sites internet n'étaient pas responsive, c'est à dire n'étaient pas optimisés pour les smartphones. Donc là c'est le cas.

Mais c'est vrai que comme tu le dis dans ton billet, mais je recommande la lecture de ce billet sur l'espace blog de notre site internet, il y a eu une évolution importante, une évolution d'essayer de réfléchir sur le fait qu'on est dans une société où certaines orientations peuvent être déplorées. Mais au lieu de déplorer ces évolutions, le plus simple, c'est de ne pas prêter le concours de nos forces à ces évolutions et être sous un logiciel libre avec des informaticiens qu'on connait, des développeurs qu'on connait qui sont des êtres humains. C'était quelque chose qui nous tenait à cœur et ça rend les choses beaucoup plus simples en fait. Enfin, il faut peut être dire par opposition à quoi on fait ça, on fait ça par opposition à des solutions qu'on appelle propriétaires, qui sont des solutions, où on est un peu prisonnier de ces solutions techniques et aussi des solutions qui sont parfois aux mains de milliardaires fascistes ou proto fascistes américains. Donc ça veut pas dire que ce n'est pas très simple de ne pas donner un peu d'argent à ces milliardaires de temps en temps, parce que d'une façon ou d'une autre, il y a toujours le risque de donner de l'argent à Amazon par exemple, directement ou indirectement. Beaucoup de gens l'ignorent, mais Amazon est un énorme prestataire de solutions numériques pour beaucoup de start-ups en France, ils louent du disque dur, tout simplement à plein de startups, donc même quand vous utilisez certaines solutions techniques, bah en fait, vous donnez de l'argent à Amazon, même si vous n'achetez jamais rien sur Amazon. Voilà.

Bon, je crois qu'on s'éloigne un peu de l'édition là, mais on s'éloigne pas tant que ça, parce que cette idée de se dire : "L'an prochain les Forges ont quinze ans et le meilleur moyen de grandir, c'est peut être de revenir un peu à la promesse initiale des Forges. Pourquoi les forges ont été faites ?" Parce que je me rends compte que plus on avance dans l'édition, plus les forges avancent dans l'édition, plus il y a toujours ce risque d'être comme absorbé par la prose du monde. C'est une sorte de gangue. C'est pas comme un gang de malfrats, mais comme une sorte de, je ne sais pas, de marais lourd où on est absorbé par des usages professionnels qui sont très codifiées et qui peuvent nuire à la créativité. Des usages techniques qui en fait sont présentées comme neutres mais ne sont pas neutres. C'est ça, en fait, c'est qu'il y a plein de choses dans l'édition qui sont présentées comme des choses neutres, qui sont des choses, "C'est comme ça et c'est comme ça qu'on fait de l'édition" et qui sont en fait des usages qui ont un effet intellectuel. Un effet, sur les textes qu'on publie, la manière dont on les publie, le moment où on les publie. Et en fait, je pense que l'anniversaire des Forges, ça doit être une manière de grandir et de grandir par une forme de simplification de certaines choses. Et revenir sur ce type de site, ça va être un des premiers exercices de simplification.

Alejandro Ferrer Nieto [00:06:23] De simplification et c'est également d'une certaine façon, un choix politique. Les choix qu'on fait par rapport aux solutions informatiques, par rapport à la gestion des commandes sur Internet, par rapport à l'hébergement de nos données numériques sont également politiques. Et je pense que les quinze ans des Forges sont aussi une occasion de réaffirmer ces choix politiques.

David Meulemans [00:06:45] En plus, moi, j'y pense beaucoup. Il y a deux choses auxquelles je pense quand je t'écoute, c'est que d'une part, je suis de plus en plus choqué alors que ce n'est pas quelque chose de nouveau par le fait que beaucoup de professions de foi qu'on fait politiquement peuvent être complètement dissociées de nos usages concrets. C'est à dire qu'on va avoir des livres qui se présentent comme humanistes et généreux, mais qui vont être publiés par des maisons qui sont ouvertement des maisons d'extrême droite même, où des personnalités qui sont des personnalités très sympathiques mais qui vont en fait enrichir les gens qui vont être les fossoyeurs de la culture et potentiellement les fossoyeurs de la démocratie française. Moi, je me méfie toujours des moments très emphatiques où on essaye de provoquer des réactions chez les gens en leur inspirant de la terreur sur ce qui nous arrive. Mais en mai 2014, une année je pense politiquement où...

Alejandro Ferrer Nieto [00:07:43] Ving-quatre...

David Meulemans [00:07:43] Ving-quatre, ving-quatre, ving-quatre, 2024 ! J'ai été tellement traumatisé par 2024 de se dire "Oh non, 2014".

Alejandro Ferrer Nieto [00:07:52] 2014, c'était le bon temps, ça.

David Meulemans [00:07:55] Good old times, voilà. Et le deuxième aspect, c'est qu'effectivement, dans moins de trois ans, dans deux ans et demi, il y aura des élections majeures en France, dont l'issue est certes incertaine, comme on dit, mais de moins en moins incertaine et de plus en plus terrifiante. Et donc la question c'est comment on contribue à ça? Et puis comment on met en place des choses sur le long terme qui peuvent être des réflexions sur nos usages. Et cette année, par exemple, un de mes motifs de contentement, c'est qu'il y a enfin eu la création d'un syndicat des éditeurs indépendants pour la région Île de France dont les éditions Aux forges de Vulcain sont sont membres. Et il y a des réflexions sur la surproduction, sur l'écologie du livre, sur ce type de choses.

Il y a des choses dont les fruits seront peut être un peu lointains, mais se dire qu'il y a tant d'éditeurs et tant... C'est intéressant aussi de se dire que les maisons d'édition qui se créent maintenant et qu'il faut accueillir et encourager parce qu'il faut toujours accueillir et encourager les nouveaux entrants, c'est des maisons qui commencent d'emblée avec une exigence sociale et environnementale plus forte que les maisons qui, comme les forges, vont attendre leurs quinze ans. Voilà, on a parlé du site internet, on a parlé de ces questions politiques, on a parlé de syndicalisme. En fait. Quoi d'autre ? C'est quoi les gros sujets de l'année ?

Alejandro Ferrer Nieto [00:09:19] C'est quoi les gros sujets de l'année 2024 ?

David Meulemans [00:09:23] Et bien toi, t'es allé pour la première fois à Francfort. On a fait un podcast dessus.

Alejandro Ferrer Nieto [00:09:26] Oui, tout à fait. C'était une première expérience. Pour toi, c'était la combientième ?

David Meulemans [00:09:31] 14ᵉ je crois.

Alejandro Ferrer Nieto [00:09:32] Oui, quand même.

David Meulemans [00:09:33] Ouais, je pense que je vais à Francfort depuis le début des Forges.

Alejandro Ferrer Nieto [00:09:37] Donc c'était un bon moment d'apprentissage, de partage, surtout, et qui me donne très envie d'assister à d'autres foires du livre, d'autres espaces d'échange comme ça, internationaux. Surtout je pense que ce qui est très intéressant, c'est de faire un peu la comparaison entre la petite édition indépendante, les grands groupes, et justement les contrastes entre l'indépendant et les grands groupes à l'internationale. C'est toujours très intéressant de parler avec des éditeurs qui viennent de pays où le marché du livre est plus petit et moins structuré que la France et de voir comment, comment ils font justement pour faire vivre la littérature dans ces espaces où les dynamiques sont très différentes.

Je viens moi même d'un pays avec un marché du livre très différent du marché français. On n'a pas de prix unique en Colombie, on a des particularités de distribution et des relations internationales avec des pays qui publient des textes en espagnol et qui les vendent à l'internationale. Les ventes et les acquisitions sont très différents par rapport à la France. Donc c'est très intéressant de pouvoir faire toutes ces comparaisons et de voir comment ça marche pour, nous, intégrer ces apprentissages et les appliquer au jour le jour et voir comment on va évoluer dans nos pratiques pour faire de mieux en mieux.

David Meulemans [00:11:06] Oui, parce que l'idée c'est aussi d'une part, d'être bien conscient qu'il y a bien un privilège éditorial français au sens où on a, par rapport à beaucoup de pays, un monde du livre qui fonctionne plutôt bien, qui est l'héritier du travail de beaucoup de gens depuis des dizaines et des dizaines d'années, qui est très structuré par notre prix unique du livre, qui est un prix qui est ancien et qui a permis l'existence d'un très grand nombre de librairies par exemple. Je pense qu'on mesure pas cette chance par rapport à d'autres pays et qui montre aussi le fait... Le fonctionnement en chaîne. C'est à dire que dans un pays où vous pouvez pas mettre beaucoup de librairies, ça va être difficile de développer un marché du livre très très efficace et très très étendu. Et que ça a un effet, sur la création, c'est à dire que si vous ne pouvez pas publier beaucoup de livres, ça limite un peu la diversité éditoriale. Donc ça, c'était à la fois pour cette raison là, pour essayer de réfléchir aussi. Mais donc, même si on a un privilège éditorial chez nous, il y a cette idée qu'on peut quand même apprendre des autres pays. Donc douter un peu, ça nous aide aussi à douter de la justesse absolue de la position française. Ça peut nous amener à réfléchir sur certaines choses, ça permet aussi... Il y a beaucoup de textes français que j'aimerais voir traduits à l'étranger. Il y a beaucoup textes étrangers que j'aimerais publier. Et puis il y a aussi cette idée que la littérature, ça flotte pas au dessus du monde, mais ça a un rapport avec le reste du monde.

Par exemple, puisqu'on parle de l'international, quelque chose qui a été une expérience assez fantastique cette année, ça a été de travailler sur la publication du premier roman en français de Tomas Vaiseta, l'auteur lituanien, qui est venu mi-novembre pour la sortie de son roman dans le cadre de la saison culturelle lituanienne. Et la saison culturelle lituanienne, c'est un événement qui est extra éditorial d'une certaine façon, puisque l'essentiel des activités de cette saison culturelle, c'est l'art contemporain, le cinéma, la danse, la musique et finalement la littérature. Même si les éditeurs français ont été très soutenus dans leur participation. Ce n'était pas le cœur du projet de la saison culturelle. C'était donc un événement extra-éditorial. Et puis l'autre chose, c'est que le contexte plus global de cette saison culturelle lituanienne, c'est qu'elle intervient à un moment où la Russie est en guerre directe avec l'Ukraine et en guerre indirecte avec l'Europe et la Russie actuelle - donc pas le peuple russe ou la culture russe ou la nation russe, mais en fait, le gouvernement russe actuel -  considère que les pays baltes font partie de son aire naturelle et que les pays baltes pourraient être annexés un jour ou l'autre. Voilà. Sauf que les pays baltes sont membres de l'Union européenne et sont membres de l'OTAN. Donc c'est vrai que ça va être un peu difficile de les attaquer. Mais je pense que c'est important sur le long terme de créer des liens entre les pays et que les livres, ça sert aussi à ça. La saison culturelle, c'est un événement culturel, mais c'est aussi un événement diplomatique. Et je me dis toujours que parmi les gens qui liront le roman de Tomas Vaiseta en français, donc Supplice, ils se diront peut être, "Ah tiens, où est la Lituanie sur la carte ? C'est quoi la différence entre la Lituanie, la Lettonie, l'Estonie ?" Ils découvriront peut être que le lituanien, c'est la langue européenne la plus ancienne parlée. Alors peut être que le basque est plus ancien, mais on ne sait pas exactement quand le basque... Depuis quand le basque est parlé. Mais ils se demanderont peut être qu'est-ce que les Lituaniens mangent ? Où est ce que je peux aller faire du tourisme en Lituanie ? Donc je signale qu'à partir de 2032, normalement, on pourra faire Paris-Vilnius, qui est donc la capitale de la Lituanie, en train. Voilà. Donc il faudra faire Paris-Berlin et Berlin-Vilnius. Mais voilà. Donc ça, c'était dans la catégorie événement de l'année qui avait une dimension internationale.

L'autre évènement qui m'a marqué, c'est que je suis allé passer une semaine en Corée du Sud. Là encore, c'était grâce à un effort diplomatique d'un autre pays, puisque la Corée du Sud, c'est... Il y a certes un engouement actuel pour la Corée en France, mais c'est un engouement qui est très aidé par un projet politique et diplomatique coréen de diffuser la culture coréenne de manière aussi à établir des liens diplomatiques et économiques plus forts à travers le monde. Parce que la Corée, c'est un pays qui est en guerre avec son voisin du Nord, la Corée du Nord ; qui a des relations tendues avec son voisin de l'Ouest, la Chine ; qui a des relations exécrables avec son voisin de l'Est, le Japon ; qui a des relations ambivalentes avec les Américains, enfin les États-Unis. Et donc la Corée est à la recherche aussi d'autres amis. Et donc moi, j'ai été invité là bas, invité par la Corée, c'est à dire une maison indépendante, comme les forges ne pouvait pas financer sur ses propres deniers ce type de déplacement. Et là bas, j'ai rencontré plein d'éditeurs avec l'espoir de découvrir une autrice ou un auteur coréen qui pourrait se fondre dans le catalogue des Forges. Donc pour l'instant, c'est toujours en discussion. Peut-être que l'an prochain, à la même date, on vous annoncera la publication d'un titre coréen.

Alejandro Ferrer Nieto [00:16:48] Et d'ailleurs, ce voyage en Corée, c'était aussi l'occasion d'une première fois pour moi, ma première présentation auprès des représentants...

David Meulemans [00:16:58] Alors les représentants, c'est les commerciaux qui présentent tous les deux mois nos nouveautés en librairie de manière à ce que les libraires les prennent en pile et que vous, lectrices et lecteurs, vous les trouviez sur les étals des libraires.

Alejandro Ferrer Nieto [00:17:11] Alors moi, j'avais déjà assisté à plusieurs de ses présentations avec David et on avait déjà fait des présentations ensemble. Mais puisque tu étais en Corée, j'ai cette fois eu l'occasion de présenter Une valse pour les grotesques de Guillaume Chamanadjian, Supplice. Tout notre programme, les nouveautés de Charles Yu également, dont la série Chinatown Intérieur est actuellement disponible et le roman est publié Aux forges de Vulcain depuis 2018 si je ne me trompe.

David Meulemans [00:17:46] 2020, 2020.

Alejandro Ferrer Nieto [00:17:46] 2020. Mais en tout cas, c'était une belle première expérience de présenter ces ouvrages, d'apprendre à être synthétique, d'essayer de créer un peu d'engouement tout en restant très respectueux des textes. Guillaume Chamanadjian, était là avec moi pour m'aider à la tâche, ainsi que Joanie Soulié qui est chargée de la relation libraire pour Supplice. Et c'était un moment fort agréable, même si au début, j'avais un peu peur.

David Meulemans [00:18:15] Oui, je pense que c'est quelque chose que les lecteurs, lectrices, ne mesurent pas toujours. C'est que l'édition, c'est un commerce dans les deux sens du terme, un commerce des biens et un commerce des idées. Et parfois, on peut avoir tendance à ne parler que des idées, que de la beauté des textes. Mais notre rôle en tant qu'éditeur, c'est de trouver des lecteurs et des lectrices aux textes. Et que faire un très beau texte que personne ne lit, ça reste une forme d'échec. Et je corrige tout de suite en disant que faire un texte nul qui se vend en grande quantité, c'est aussi un échec. Donc là, l'idéal c'est de faire des textes fantastiques qui seront vendus en grande quantité. Et donc il faut savoir faire... À la fois savoir éditer les textes, mais savoir aussi les accompagner commercialement. Mais puisqu'on parle de textes qu'on cherche à vendre en très très grande quantité, je vais me tourner vers une des questions qu'on nous a posées puisque j'avais annoncé sur les réseaux sociaux qu'on allait enregistrer cette émission rétrospective pour l'année 2024. La question m'a été posée sur Threads... Ah oui, on a quitté X comme beaucoup de gens, parce que c'est quand même un repaire à fascistes, masculinistes, racistes, antisémites... Bon on va peut être arrêter... Voilà.

Alejandro Ferrer Nieto [00:19:34] La liste est longue et déprimante.

David Meulemans [00:19:35] Qui en plus ont leur gourou insupportable. C'est le Voldemort du monde réel quoi, c'est ça?

Alejandro Ferrer Nieto [00:19:43] Et qui est désormais membre du gouvernement des États-Unis?

David Meulemans [00:19:46] Oui, c'est ça, c'est ça.

Alejandro Ferrer Nieto [00:19:48] On dira pas de nom, mais je pense que vous savez de qui on parle.

David Meulemans [00:19:51] Bon, la question m'a été posée sur Threads par hastur.blackbird. Donc merci hastur. "Bonjour à toute l'équipe. Est-ce que le succès de la Tour de garde, dont l'ampleur n'était sans doute pas prévue, vous a confronté à certaines difficultés humaines ou matérielles que vous n'aviez jusqu'ici jamais rencontrées du fait d'un changement d'échelle peut être brutal dans les différents champs de votre métier : exposition publique, sollicitation médiatique, réseaux, gestion financière, travaux sur les projets en cours et à venir. Merci à vous." Et on a aussi eu une question de goupil.a.lire qui me dit "Je vous pose la même question mais au sujet de Gilles Marchand." Bon, c'est deux très bonnes questions. Alors j'ai mis à la suite l'une de l'autre les deux questions, parce ce que l'une porte sur une série de titres en littérature de l'imaginaire et l'autre sur une série de titres en littérature... Enfin, sur un titre en littérature générale. Et comme les forges font à la fois de la littérature générale et de la littérature de l'imaginaire, c'est toujours important de le rappeler. Parce que très régulièrement, je rencontre des gens qui sont abasourdis qu'on fasse de la littérature générale ou qui sont abasourdis qu'on fasse de la littérature de l'imaginaire. Et à chaque fois, je dois leur dire non, non, on fait les deux et ça fait sens de faire les deux. Et c'est dans ces moments là, je me dis "C'est chouette, c'est à dire qu'on a encore beaucoup de cœurs à conquérir".

Et donc on va fêter nos quinze ans. Mais avec un peu de chance, on fêtera nos 20 ans, 30 ans, 40 ans. Alors certes, que ce soit la "Tour de garde" ou le Soldat désaccordé, c'était pas vraiment des succès annoncés au sens où c'était des textes dont on savait qu'ils étaient très forts, dont on était très fiers, mais dans l'édition il est toujours très très difficile de prévoir le succès. Et l'histoire de l'édition est faite aussi de choses qui étaient des succès assurés et qui ont été des fours certifiés. Voilà, je vais peut être d'abord répondre pour la "Tour de garde". Est-ce que cela nous a confrontés à certaines difficultés humaines ou matérielles que nous n'avions jamais rencontrées du fait d'un changement d'échelle? Est ce que ça a vraiment changé d'échelle? Oui, parce que c'est des textes qui se sont vendus en très très grande quantité pour une maison indépendante, mais pas simplement pour une maison indépendante. Parce que maintenant, Claire Duvivier et Guillaume Chamanadjian sont parmi les auteurs d'imaginaire les plus vendus en France, dans la francophonie, en plus d'être des gens adorables et que les textes soient reconnus pour leur qualité, c'est à dire c'est pas vraiment, c'est pas juste une question de ventes, c'est aussi une question de grande qualité. Est-ce que ça nous a confrontés à des difficultés humaines ou matérielles jamais rencontrées ? Je ne sais pas toi... Alejandro, t'étais là au début de la Tour de garde. Non ?

Alejandro Ferrer Nieto [00:22:34] Non, quand j'ai commencé mon stage...

David Meulemans [00:22:36] Parce que la Tour de garde, c'est six romans, donc étalés sur trois ans complets.

Alejandro Ferrer Nieto [00:22:40] Oui, tout à fait. Quand j'ai commencé mon stage en février 2022, les deux premiers tomes de la Tour de garde, des deux trilogies étaient déjà parus. Donc j'ai commencé à travailler en relisant Trois lucioles, oui, Trois lucioles donc le tome deux de "Capitale du Sud". Il restait tout à faire sur les quatre derniers tomes de la série. Et enfin, en termes de difficulté, je pense que, au moins éditorialement, c'était un projet ambitieux où il fallait être très attentif, justement parce que c'est deux trilogies qui se répondent entre elles. Donc en termes de travail, d'attention aux détails, justement, il était très important d'avoir tout en tête. Ce n'est pas comme quand on travaille sur un seul roman où il faut faire attention à l'unité, à la cohérence... Donc je pense que, au moins pour moi, c'était la première fois que je travaillais avec un projet aussi ambitieux, étendu sur six volumes où il fallait faire attention à la cohérence interne de chaque trilogie, mais aussi à la façon dont les trilogies se répondaient entre elles. C'était c'était une première. Et enfin, pour les Forges aussi, c'était une première, donc je ne sais pas si pour toi c'était un pari de...

David Meulemans [00:24:01] Non, en fait, toi et moi on est en train de répondre sur quelque chose qui n'était pas tout à fait la question qu'hastur nous posait mais il faut commencer par là, tu as raison. C'est que, c'est un projet qui éditorialement a présenté, pas mal de défis. Le fait que ce soit six textes, qu'il soit structuré comme une double trilogie. Il fallait décider l'ordre et le format de publication. C'est à dire? Quand les textes sont arrivés, j'avais autour des quatre premiers volumes, pas six volumes. Il fallait savoir si on allait faire un seul gros volume, deux volumes, trois volumes, quatre volumes, six volumes. La périodicité. Trouver une proposition graphique qui fonctionne. La prise de risque, elle était liée à un élément un peu technique, c'est qu'il est logique qu'il y ait moins de vente d'un tome deux que d'un tome un. C'est logique parce que personne va acheter directement le deuxième volume du Seigneur des Anneaux sans avoir lu le premier. Et donc il y a toujours un phénomène qu'on appelle dans la publication l'attrition, c'est la baisse de ventes d'un volume à l'autre. Donc plus une série est longue, plus il y a un risque que le dernier volume de la série ait des ventes modestes. Je pense que les lecteurs de manga connaissent bien ça, parce que quand les séries sont très longues, on sait que les derniers volumes vont avoir des mises en place plus faibles.

Cela dit, j'ai appris que dans le manga, il y a souvent un phénomène qui est similaire au phénomène des comics, parce que dans les comics, il y a des séries qui sont déjà à 500 volumes. C'est qu'en fait les gens ne vont pas acheter depuis le premier parce que souvent le premier volume n'est pas accessible. On ne peut pas le retrouver. Donc ils prennent en cours. Mais dans les séries de romans historiques, de fantasy ou de science-fiction, les gens prennent pas en cours et prennent à zéro. Donc le risque pour les forges, c'est de se dire il va y avoir six volumes avec un risque d'attrition. Après, l'attrition a été relativement faible parce que ce n'est pas une série de six romans, c'est deux trilogies, donc déjà ça change tout. Et donc en fait c'est deux trilogies entremêlées. Donc ça, ça nous a évité, enfin, ça me laissait présager que l'attrition serait moins forte que sur d'autres projets. Et puis après, d'un point de vue technique, finalement, le défi n'a pas été si grand que ça. Mais là, je dois dire que c'est vraiment lié au professionnalisme des deux auteurs. C'est à dire qu'ils sont arrivés avec des textes qui étaient dans un état d'achèvement et de maîtrise extrême. Je pense surtout à Guillaume Chamanadjian, dont c'était le premier roman. Alors Claire Duvivier, c'est aussi son premier roman écrit, même si en fait ça a été publié après Un long voyage qui est son deuxième roman écrit, mais ça a rendu les choses un peu plus simples. Après, les Forges sont une maison indépendante, mais on a un partenariat avec un groupe, le groupe Média Participations via une maison d'édition du groupe qui s'appelle les Éditions de la Martinière. Ça nous a servi pour plusieurs choses, mais notamment sur quelque chose d'assez simple, c'est qu'on avait la trésorerie pour faire des réimpressions, ce qui était... Ce qui peut sembler secondaire, mais ça nous a quand même bien aidé, donc ça... Le risque est bien sûr assumé par les Forges parce qu'on reste une maison indépendante. Mais je pense que le partenariat avec un groupe, ça nous a aidé sur ces aspects là. Ça aurait peut être été faisable sans le partenariat d'un groupe, mais on a quand même bien profité de ce partenariat.

Et après en fait la tournée de Claire et Guillaume a été relativement facile à gérer. C'est Julien et Ève, nos attachés de librairie, qui s'en sont occupés. Mais c'est une tournée qui a été très concentrée sur ce qu'on appelle les "spés", donc les libraires spécialistes d'imaginaire. Et comme ils sont pas si nombreux que ça en France, l'idée c'est de faire une tournée limitée qui était une tournée avec des gens qu'on connait déjà, des gens qu'on apprécie et qui nous apprécient aussi. Je pense à la librairie Critic à Rennes. Je pense aux différents libraires d'Imaginaire à Paris, que ce soit le Nuage vert, la Dimension fantastique ou bien sûr l'Atalante à Nantes. Je suis désolé... Au moment où j'ai commencé la liste, je me suis dit "tu vas en oublier et c'est vraiment pas sympa d'oublier." Mais bon, voilà, l'idée c'est que c'était une tournée qui était maîtrisable en termes logistiques, donc ça n'a pas déclenché de défi particulier. On a dû se coordonner avec un éditeur de poche, Le Livre de poche avec un éditeur de livres audio Audiolib'. Mais finalement, ça s'est plutôt bien passé. La gestion financière a été assez complexe quand même, mais pour des raisons parfois très très bêtes, parce que...

Alejandro Ferrer Nieto [00:28:57] [Rires.]

David Meulemans [00:28:57] Non, mais des choses très simples. Les noms des livres ont changé et parfois personne ne savait quels livres devaient être facturés. Ça a été un peu technique ça. Et c'est vrai que depuis, on a un peu gagné en propreté du processus. Donc ça c'était... Mais c'était pas insurmontable.

Alejandro Ferrer Nieto [00:29:14] Surtout qu'il s'agit de 6 livres co-écrits par deux auteurs, mais avec...

David Meulemans [00:29:21] Oui, ils sont co-auteurs...

Alejandro Ferrer Nieto [00:29:22] Chaque auteur a écrit une trilogie différente. Oui, oui, ça peut être un peu compliqué à expliquer.

David Meulemans [00:29:26] C'était compliqué à expliquer à certains de nos interlocuteurs qui sont en fait ce qu'on pourrait appeler des fonctions support. Mais eux, ils ne lisent pas nécessairement nos livres parce que sinon ils devraient lire 200 livres par mois quoi. Donc voilà, Le soldat désaccordé de Gilles Marchand, ça a été assez différent comme expérience. Là, le projet éditorial était plus simple parce que c'était un seul livre. Il y a eu quand même un gros défi parce qu'il y a eu une très grosse tournée qui en plus était beaucoup plus grosse que la tournée de Claire Guillaume, parce que c'est pas le même type de librairies, c'est des librairies généralistes, mais aussi parfois des librairies plus petites, beaucoup de libraires qu'on ne connaissait pas, qu'on a découvertes à cette occasion. Donc il faut établir la relation, faut se parler un peu pour comprendre ce que eux attendent de nous, ce que nous on peut attendre d'eux raisonnablement. Il y a un autre aspect aussi, c'est que Gilles, avec Emmanuel Gross, ont monté un spectacle musical. Donc en fait, la tournée alternait les rencontres dédicaces qui sont des choses assez classiques et simples à organiser, et les spectacles musicaux qui sont un peu plus techniques à organiser et surtout pour lesquels Gilles et Emmanuel demandaient un engagement financier. Parce qu'en fait, leur spectacle musical est un vrai spectacle professionnel qui a rempli des très grandes salles et donc bah méritait que les gens soient indemnisés.

Cela dit, c'était très intéressant aussi sur quelque chose, c'est qu'on a parfois des invitations un peu fantaisistes où des gens nous disent est-ce que Gilles Marchand pourrait venir dans telle maison de retraite ? Alors Gilles, de toute façon, il adore rencontrer les gens, parler de son œuvre, écouter les gens. Donc il peut aller partout. Mais les gens nous... Parfois les gens nous disent "oui et puis est-ce qu'il peut venir gracieusement ? Et vous prenez à votre charge le train et l'hôtel ?" Et c'est vrai que c'était assez intéressant de découvrir qu'on a des interlocuteurs qui pensent que les auteurs vivent d'amour et d'eau fraîche, que nous on peut payer des déplacements et des nuitées d'hôtel comme ça. C'était assez étrange. On avait parfois eu des discussions un peu tendues avec des interlocuteurs, mais voilà, je le mentionne quand même... Quelque chose auquel je tiens, c'est chaque fois que... C'est qu'il faut beaucoup parler à des gens qui ne sont pas dans le monde du livre, qu'il faut que les romans soient lus par des gens qui ne... Pas seulement par les gens qui lisent beaucoup. Il faut aller chercher d'autres publics et il faut aussi expliquer un tout petit peu ce qu'est notre métier, ce que c'est qu'un libraire, ce que c'est qu'un bibliothécaire, ce que c'est qu'une maison d'édition, ce qu'un auteur... C'est à dire créer un peu une connaissance sur ces métiers. Et après tout ça, on demande pas aux gens de connaître des choses très précises, très techniques sur l'édition, mais juste avoir des notions que les auteurs doivent être rémunérés, que ce serait bien qu'ils puissent vivre de leur plume, que les libraires aussi ont droit de... J'y pense particulièrement parce que...

Alors c'est la fin de l'année. C'est à la fois un moment chaleureux, mais un moment porteur d'angoisse. Donc je peux quand même mentionner aussi que quelque chose que je trouve assez inquiétant ces jours ci, c'est que dans certaines régions, les présidents ou présidentes de région ont décidé de tuer toute activité artistique sur leur territoire en sucrant toute forme d'aide publique et c'est très inquiétant. C'est surtout inquiétant à la région des Pays-de-loire puisque toutes les régions ne sont pas parties dans le même sens. C'est à dire qu'on est dans une période en théorie d'austérité et en plus une austérité provoquée par l'incurie du gouvernement actuel. Ce qui est très particulier, c'est que le monde du livre, par rapport aux autres industries culturelles, c'est une industrie qui finalement est assez autonome financièrement, c'est à dire qu'elle est vraiment en grande partie livrée au tout marché. Donc l'intervention de la puissance publique pour financer le livre est pas immense, mais le peu qui est donné est très nécessaire pour que les choses fonctionnent. Et si on retire ça, ce n'est pas pour faire des économies parce qu'en fait c'est le type d'économie que dans deux ans, trois ans, quatre ans, les gens paieront beaucoup plus cher. D'une certaine façon, c'est presque comme si dans les dépenses de soins, on arrêtait toute politique de prévention. C'est à dire que si vous arrêtez une politique de prévention des années après, vous allez devoir payer des nuits d'hôpital à une grande partie de la population. Eh bien là, c'est la même chose.

Alejandro Ferrer Nieto [00:34:07] Ce qui est un peu le cas aux États-Unis, par exemple.

David Meulemans [00:34:10] Oui, mais c'est pour ça. C'est aussi une des actualités ces jours-ci, parce que, aux États-Unis, il y a l'assassin du patron, d'une des plus grosses... De la plus grosse société d'assurance médicale qui a été incarcéré et qui devient une sorte de Robin des Bois sur les réseaux sociaux. Mais c'est aussi révélateur du fait que, enfin, l'espérance de vie aux États-Unis, c'est la 42ᵉ dans le monde. C'est l'espérance de vie en bonne santé... Une des plus faibles pour un pays industrialisé. Et tout ça, c'est parce qu'ils ont un système économique qui est mal organisé et qu'ils ont décidé de déshabiller la puissance publique pour livrer au tout marché quelque chose. Donc l'intervention, je suis pas favorable à une intervention permanente, forte et directe de l'État parce que c'est aussi dangereux, un État qui détermine ce qui doit être fait en permanence. Mais qu'un État qui permet... Je pense que, il y a quelques semaines, il y a un éditorial du Monde que j'ai trouvé finalement assez touchant. Ils disaient qu'il y a un Rubicon qui a été franchi, c'est que jusqu'à une période récente, il y avait une sorte de consensus droite-gauche en France sur le rôle de la culture. Parfois, ce consensus s'est établi sur des questions de principe, sur des questions électoralistes ou sur des principes juste de bon sens, d'intérêts bien compris aussi, de dire "ça fait partie de l'attractivité de la France, la culture, le patrimoine." Et là, on a un assaut par... Et le truc le plus triste, c'est qu'il y a une partie des élus de droite main dans la main avec l'extrême droite dont le but en fait, c'est de démolir des gens qu'ils perçoivent comme leurs adversaires politiques. Et on s'est vraiment éloigné des forges.

Non mais tout ça pour dire que c'est quand même un événement de l'année 2024, que ça aura un effet délétère sur sur nous. Et alors ? Je suis très content aussi sur autre chose, c'est que un des premiers auteurs à avoir réagi à cette situation, notamment dans sa région qui est la plus touchée, c'est la région des Pays-de-Loire. C'est Éric Pessan qui est un auteur des Forges, mais aussi un auteur dans plein d'autres maisons d'édition, mais en littérature adulte, il est aux Forges où on a publié son dernier roman adulte, qui est Ma tempête et donc Ma tempête, on l'a sorti en rentrée littéraire 2023, et c'est l'histoire d'un homme qui est metteur en scène de théâtre. Il a appris que la mise en scène de Macbeth sur laquelle il tra... Heu pardon, de La tempête. Lapsus terrible. De La tempête de Shakespeare, sur laquelle il travaille depuis un certain temps, ne sera pas financée et il va passer la journée avec sa fille pour lui parler, lui montrer ce qu'aurait été cette mise en scène qu'il va jouer avec une tempête de savon dans la baignoire ou des choses comme ça, quoi.

Alejandro Ferrer Nieto [00:37:17] Et qu'il va jouer avec sa fille parce qu'elle doit rester à la maison puisque la crèche est en grève.

David Meulemans [00:37:23] Ouais, c'est ça. Donc ça c'est un roman sur la transmission père fille qui se passe en une seule journée. C'est une unité de temps, unité de lieu, unité d'action, comme dans le théâtre classique et pas le théâtre Shakespearien justement, mais dans le théâtre classique français et à un moment où en fait, c'est un texte qui va de choses très lyriques à des choses très personnelles, très émouvantes, mais aussi choses très simples sur ce que c'est l'intermittence en France. Et ce qui m'avait frappé, c'est qu'un des journaux qui l'avait encensé, c'était le JDD, Le Journal du Dimanche qui venait à peine de basculer à l'extrême droite. Et en fait, ils avaient fait deux paragraphes dessus. Un paragraphe en disant que c'était génial. Un deuxième paragraphe en disant "Mais on trouve que Monsieur Pessan...", je ne sais pas faire la voix droite, je suis désolé. Bon, "Mais on trouve que M. Pessan s'était beaucoup mieux inspiré quand il parle de Shakespeare et beaucoup moins inspiré quand il parle de l'intermittence." Parce que la France aurait le meilleur régime d'intermittents du monde, le régime le plus généreux qui est devenu un peu la doxa de gens réactionnaires. Et c'était assez étonnant. Et en fait, finalement, je me suis dit ça me gêne pas qu'ils encensent dans un journal d'extrême droite un livre des Forges, parce que s'ils ont la bêtise de faire de la pub à leur ennemi, tant mieux pour nous. Nous on leur fera pas de la pub. Mais donc, Eric Pessan, dès qu'il y a eu cette annonce, a fait une très jolie tribune, très sensée, qui est aussi un moyen de dénoncer des hypocrisies graves puisque quelques jours avant de décider de cette diminution drastique de ressources, la présidente de région avait préfacé le livret des Utopiales, c'est quand même le plus gros salon du livre en Europe, d'un discours lénifiant sur la nécessité de la culture.

En fait, c'est bon, passons... Revenons à des choses plus positives. Qu'est ce que tu retiendras de cette année de positif? Ben non, attends. Ok, ok, je te laisse réfléchir et je finis par répondre à la question sur les défis logistiques du changement de l'échelle sur Le soldat désaccordé. Organiser une tournée, ça nous a pris énormément de temps. C'était un peu éprouvant parce qu'on a eu un peu du mal à suivre. Je pense que Gilles a fait, je crois, plus de 150 événements. Donc voilà. En plus, on n'a pas nécessairement les compétences pour faire ça, mais Ève notamment dans l'équipe qui était en première ligne, s'en est très bien sortie, donc merci à elle. Et voilà, c'était un peu le seul défi, le seul grand défi où on a appris beaucoup. Il y a Gilles qui revient l'an prochain avec un nouveau roman. Donc là, on est un peu aguerris. On verra quelle sera l'étendue de la tournée. Et puis non, mais sinon, pour résumer les défis sur la Tour de garde, c'était des défis, surtout éditoriaux, donc pas des défis liés aux résultats économiques de la Tour de garde. Et du côté de Gilles Marchand, ça a été vraiment l'organisation de la tournée qui a été un vrai défi technique et un vrai changement d'échelle. Parce que les plus grosses tournées auparavant, c'était des tournées à 30 dates. Donc on a passé de 30 à 150. Surtout que, comme je le disais, un des deux types d'événements, c'était un concert, donc avec toute une logistique à mettre en place. Et voilà.

Alejandro Ferrer Nieto [00:40:53] Bon, je réponds à ta question justement puisque j'ai eu le temps d'y penser. Je crois que... L'une des expériences les plus intéressantes cette année, c'était justement de travailler la rentrée... La rentrée littéraire, avec une logique de limiter le nombre de publications pour bien pouvoir les accompagner. Et on l'a fait avec un texte très particulier qui est Pages volées d'Alexandra Koszelyk, qui est un texte très personnel, très intime, qu'on a eu l'occasion de défendre avec beaucoup de plaisir, mais également avec une responsabilité personnelle je pense, parce que Page volées, c'est un texte qui parle de la vie d'Alexandra Koszelyk, donc c'est un roman, c'est en même temps une réflexion sur la littérature, sur le pouvoir restaurateur, sur le pouvoir de reconstruction de la littérature et des lettres. Et pour moi, c'était un moment assez privilégié de pouvoir assister à tout cela, de pouvoir lire le texte en avant première, de voir son évolution, de le voir arriver en librairie et de se dire que ce qu'on a, nous, en tant que maison d'édition, c'est la possibilité d'accompagner de tels projets qui sortent un peu des cases parce que ce n'est pas un texte qui peut être facilement catégorisé, je pense, ce n'est pas un texte qui a un équivalent au sein du catalogue des Forges et qu'on a quand même décidé de défendre auprès des libraires, auprès des lecteurs et des lectrices et dont la réception, je pense, est très émouvante.

David Meulemans [00:42:38] Oui, c'est à la fois une réception très intense parce que je pense que c'est le texte qui suscite le plus de coups de cœur, en fait, des romans d'Alexandra, enfin des textes d'Alexandra, parce qu'effectivement dire roman, c'est déjà trancher. Alors texte, c'est un terme plus neutre, plus factuel peut être. Et puis c'est vrai que non seulement ces retours sont intenses, mais ils sont très émouvants comme tu dis, parce que c'est ça qui est assez frappant, parce que c'est un récit vraiment singulier, mais justement par la sincérité, par l'honnêteté dans le personnel, dans l'intime, dans le singulier. Je pense que c'est un effet presque de miroir pour beaucoup de personnes, même si des personnes qui ont vécu des vies très différentes de celles d'Alexandra Koszelyk, ça les renvoie en fait aux propres épreuves qu'ils ont pu traverser. C'est vrai que pour moi c'était particulièrement intéressant aussi parce que ça a été un peu une expérience limite au sens où je crois que les forges ont été créées initialement dans une sorte de refus de ce qui avait été très à la mode il y a une quinzaine d'années dans l'édition française, qui était la littérature de l'intime, l'autofiction... Et d'une certaine façon, le texte d'Alexandra flirte un peu avec ces domaines là, donc ça peut sembler loin du projet initial des Forges.

Sauf que, en fait, le projet initial des Forges aussi, c'est d'accompagner des auteurs où qu'ils aillent, et puis quand on  s'éloigne un tout petit peu du romanesque, le faire toujours avec sincérité et vérité. Et en fait, je me suis rendu compte que ce qui était haïssable dans une partie de l'autofiction ou de la littérature de soi, c'était l'insincérité, en fait, c'était le risque de faire de la littérature germanopratine. Mais en fait, par exemple, il y a Annie Ernaux, ce n'est pas vraiment germanopratin. Je pense qu'Annie Ernaux ça touche au-delà du cercle parisien. Et donc, quand... la littérature est riche, depuis Les Tristes d'Ovide ou même avant de textes de littérature intime qu'on a lus au collège ou au lycée et qui sont des textes qui ne sont pas abîmés ou épuisés par le temps qui passe. Et pour moi, le texte d'Alexandra, c'est un texte qui est en écho aux Confessions, par exemple, qui... Voilà. Donc ça c'était c'était bien parce que c'était vraiment, d'une part la fierté de porter un très bon texte, mais aussi purement intellectuellement ou d'un point de vue de l'artisanat, d'aller vers quelque chose d'un peu différent. Parce que le risque aussi dans l'édition, c'est.... Il faut à la fois rester fidèle à nous mêmes, mais il ne faut pas se répéter non plus. Se dire "On ne fera pas deux fois la 'Tour de garde', on ne fera pas deux fois Le soldat désaccordé et on ne fera pas deux fois Pages volées." Ça ne veut pas dire qu'on n'a pas aimé, mais je pense que ça veut dire aussi qu'on a réussi à faire quelque chose et qu'il faut partir à la conquête de nouvelles choses.

Alejandro Ferrer Nieto [00:45:49] Et je crois qu'un autre moment. Que j'ai trouvé très intéressant pendant cette année, qui n'est pas forcément en lien avec notre travail éditorial, mais qui était directement lié à notre expérience en tant qu'équipe. C'était de maîtriser une partie de jeu de rôle pour toi et pour nos deux stagiaires Flavien et Faustine. J'ai eu l'occasion de le faire vers la fin de leur stage, à la fin de l'été, et je pense qu'on a passé un très très beau moment loin du team building corporatif. Ce n'était pas du tout le cas. Je pense qu'il y avait vraiment une volonté de créer du collectif, de raconter une histoire intéressante et de parler de vampires. On a beaucoup parlé de vampires cette année aussi puisqu'on a publié Zona Cero de Gilberto Villarroel en février. Et ça nous a...

David Meulemans [00:46:46] Qui est un texte... Qu'est un hommage aux récits de vampires, en fait, sous un prisme politique Chilien.

Alejandro Ferrer Nieto [00:46:50] Et ça a créé plein d'opportunités pour parler de vampires, de ce qu'est un vampire, comment a évolué la figure de vampire au cours du temps. On a même fait un jeu concours.

David Meulemans [00:47:01] Avec nos amis de Callidor.

Alejandro Ferrer Nieto [00:47:02] Tout à fait. Avec les éditions Callidor, on en a fait gagner un exemplaire de leur belle édition de Dracula et un exemplaire de Zona Cero, puis du Vampyre de Polidori. Et donc c'était une année très très vampirique.

David Meulemans [00:47:19] Mais là, le jeu de rôle, c'est quelque chose vers lequel j'aimerais un peu revenir, parce que moi je pense que ça fait... C'est quelque chose de très important dans ma propre éducation culturelle et artistique. C'est quelque chose que j'ai beaucoup pratiqué, de l'âge de 7 à 16 ans, quelque chose comme ça. Et donc en jouant beaucoup à Vampire notamment, qui a été un grand jeu des années 1990 avec cette petite blague que toi, c'était la première fois que t'étais meneur de jeu, c'est ça ? Sur Vampire ?

Alejandro Ferrer Nieto [00:47:50] Sur Vampire. Oui, j'ai beaucoup d'expérience avec Donjons et Dragons, cinquième édition, mais c'était ma première fois en tant que meneur de Vampire.

David Meulemans [00:47:56] Et alors Donjons et Dragons j'y avais beaucoup joué quand j'étais enfant. Mais c'est vrai que c'était assez frappant de voir quelqu'un habitué à Donjons et Dragons s'occuper de Vampire parce que ça a quand même été un Vampire pas très psychologique et très brute quand même. Ça m'a un peu étonnant de ta part, parce que tu es quand même quelqu'un d'assez fin et... Voilà. Et ça a quand même une partie de grosse brute, hein ?

Alejandro Ferrer Nieto [00:48:17] C'est vrai. En même temps, je me disais que pour une première expérience, parce qu'autant Faustine que Flavien n'avaient jamais joué à Vampire, la Mascarade, si on ne connaît pas les intrigues, les relations politiques entre les différents clans, c'est très compliqué de créer une une partie où le psychologique prend le dessus sur le combat. Et en même temps, quand c'est la première fois que tu fais une partie de jeu de rôle, c'était le cas pour Faustine, ça peut être plus intéressant d'avoir plus de combats et d'avoir l'occasion de faire des lancers de dés.

David Meulemans [00:48:52] Ah non mais c'était super! Et c'était aussi l'occasion de se souvenir de... C'est quelque chose de très créatif le jeu de rôle. Sauf qu'effectivement on crée un événement, on reste dans l'événement, et l'événement vit dans nos souvenirs, n'a pas vocation à devenir une œuvre. Et c'est ça qui est distinct d'autres formes de création qui sont de la création d'œuvres. Mais je me dis qu'il y a ce... Il faut retrouver ce plaisir de faire quelque chose de fun. Je parlais d'éviter d'être absorbé par la prose de l'édition, par les aspects techniques. Et c'est vrai que là où c'était super de faire un après-midi jeux de rôle comme ça, c'était retrouver ce fun. Moi ces jours-ci ce fun, je le trouve en travaillant avec Rodolphe parce que c'est un auteur de 2023 qui revient en 2025. Et en fait, c'est un des auteurs les plus fun qui soient. C'est à dire que c'est hyper agréable de travailler avec lui, c'est hyper créatif et c'est vraiment de se dire "Chic chic, on va bosser trois heures ensemble sur le texte." Et c'est vraiment des moments créatifs.

Et j'y pensais aussi parce que sur d'autres choses, tu mentionnais que Chinatown intérieur, qui est donc publié aux éditions Aux forges de Vulcain, traduit par Aurélie Thiria-Meulemans, est ce texte de Charles Yu, auteur américain, qu'il  a lui-même mis en scène pour Disney+. Depuis quelques semaines, c'est disponible sur Disney+ sous la forme d'une série de dix épisodes. Et en fait, regardant cette série que je vous recommande, qui est vraiment très bien, je me suis souvenu qu'en fait, il y a quelque chose de très fun chez Charles Yu. C'est un auteur très profond et émouvant qu'est un grand critique de l'Amérique. Mais il y a quelque chose où on sent qu'il s'est amusé. Et ça, je trouve ça fantastique de se dire qu'il y a... Cet amusement est resté, alors que au terme, il y a une série télé, c'est à dire quelque chose qui est vraiment, pour moi, la lourdeur industrielle absolue. Il y a comme à travers tous ces filtres, tous ces aspects techniques qui sont des aspects qui détruisent la créativité. Même si parfois la contrainte, ça permet une plus grande créativité. Mais bon, là, c'est pas toujours le cas pour les séries télé. Là, il y a quelque chose qui a traversé et donc c'est. Je pense qu'il faut, il faut en prendre de la graine. C'est à dire comment à la fois être plus ambitieux, faire des choses plus techniques, plus industrielles aussi, amener nos livres à plus de lecteurs, que ce soit en France ou à l'étranger, et parallèlement, conserver cette étincelle et la faire briller un peu plus fort. Et je suis assez confiant sur l'année 2025. Et voilà. Eh bah Alejandro, merci beaucoup d'avoir participé à cette émission. C'était donc la dernière émission de l'année 2024 qui était une émission un peu en forme de rétrospective. J'espère que ça vous a intéressé. N'hésitez pas à nous poser des questions et on aura l'occasion d'y répondre dans d'autres émissions. Et sur ce, je vous souhaite une très belle fin d'année.

Alejandro Ferrer Nieto [00:52:05] Merci David. Belle fin d'année à tout le monde et à la prochaine!

Entretien avec Tomas Vaiseta

Portrait de Tomas Vaiseta par Roberto Daskeviciaus

 

Cet entretien avec l'auteur de Supplice, Tomas Vaiseta, et son éditrice, Saulina Kochanskaite, a été enregistré lors de leur passage en France pour la saison France - Lituanie, en octobre 2024. L'équipe des forges a profité d'un moment de répit – entre interviews, rencontres en librairie, rencontres à l'Inalco et à la Maison de la Poésie – pour discuter avec Tomas et Saulina sur ce roman particulier, et pour en savoir un peu plus de sa publication et sa réception en Lituanie, entre autres sujets passionants !

 

L'entretien en anglais est disponible sur le SoundCloud des forges !

 

David Meulemans : Bonjour, je suis David Meulemans. Ceci est un nouvel épisode du podcast des éditions Aux forges de Vulcain. Nous n’avons pas de titre anglais pour notre podcast, mais aujourd’hui, il sera en anglais et il y aura une traduction vers le français. Nous échangeons aujourd’hui avec Tomas Vaiseta.

Tomas Vaiseta : Salut.

DM :. Mais pourrais-tu nous dire le titre de ton roman en lituanien et en anglais ? Supplice Alors, Tomas, je t’ai invité parce que nous venons de publier une traduction française de ton roman. En français nous avons choisi le titre

TV :que je prononce « Ha ». Il s’agit d’une, ou deux lettres, c’est à chacun de décider. Ce sont les lettres C et H. En réalité, le premier titre était « Cha », mais nous en avons discuté avec mon éditrice, qui est ravie d’être mon épouse. Nous pouvions alors en parler à la maison, et pas au bureau ou quelque chose comme ça, et nous avons décidé que « Cha » réduisait la signification du roman. On a ensuite l’idée de l’appeler juste « Ch », qui est la première lettre du personnage principal, Charlie. Mais le titre a plusieurs significations. Tout d’abord, en lituanien, mais probablement aussi en français, quand quelqu’un rit on dit « ha ha ha ». Bon, personne ne rit comme ça en réalité, mais quand on l’écrit c’est toujours comme ça : « Ha ha ha. » Donc quand on prononce le titre en lituanien, « Ch », ça veut dire que quelqu’un est en train de rire, de se moquer de quelqu’un. Cela revient aux lecteurs et lectrices de décider qui rit et pourquoi. Le titre peut aussi être prononcé « Sha ». Les français auront plus tendance à le prononcer « Sha » que « Ha » en lisant ces deux lettres [CH]. Et c’est une très bonne prononciation car en Lituanie, quand on dit « sha », ça veut dire « arrêtez de parler » ou « taisez-vous, maintenant c’est à moi de parler ». On dit juste « cha, cha ». Donc je pense que c’est une bonne interprétation de ce roman puisqu’il est écrit sous la forme d’un monologue du personnage principal. Comme je le fais maintenant, même si nous sommes dans un podcast et pas sur la scène d’un monologue.Ch  Le titre original est

DM : Et tu as mentionné que nous sommes aujourd’hui avec ton éditrice, et épouse. Mais principalement ton éditrice, pour nous en tout cas. Bonjour Saulina.

Saulina Kochanskaite : Bonjour, ravie d’échanger avec toi.

DM : Donc, Saulina, je t’avais promis qu’on discuterait davantage avec Tomas, mais nous avons beaucoup de questions sur ce que c’est que d’être une éditrice en Lituanie. Mais ne t’inquiète pas, je ne te poserai que quelques questions. Revenons à toi [Tomas]. J’ai oublié… Tu n’as pas mentionné le titre en anglais. Y’en a-t-il un ?

TV : Il n’y a pas de titre en anglais en réalité.

DM : Il n’y pas de titre de travail en anglais pour l’instant ?

SK : En réalité oui, puisque nous avons un catalogue de la maison d’édition, pour la vente des droits étrangers. Et dans ce catalogue nous avons appelé le roman de Tomas « Une brève histoire de la guillotine ». Donc oui, on peut dire que c’est le titre de travail en anglais. Nous avons écrit les deux lettres, « CH », puis entre parenthèses, la version plus longue « Une brève histoire de la guillotine ».

DM : Mais il me semble que tu dévoiles une partie très importante de l’histoire. Bon, parfois les lecteurs et lectrices doivent être prévenus de ce qui leur attend.

SK : Oui, oui.

TV : Et c’est un mensonge, il n’y a pas de guillotine.

DM : Il n’y a pas de guillotine dans le roman.

TV : Ne cherchez pas de guillotine, oui.

DM : Donc si vous êtes un éditeur ou une éditrice à l’étranger et que vous lisez l’anglais, sachez que nous allons parler d’un roman qui a un très long échantillon… Échantillon ou traduction intégrale vers l’anglais ?

SK : C’est un échantillon.

DM : Un échantillon.

TV : Un chapitre.

SK : Un échantillon de traduction vers l’anglais.

DM : Donc, il y a un échantillon de traduction. Vous pouvez nous écrire et nous transmettrons le message à Saulina, même si je suis sûr que beaucoup d’entre vous connaissez déjà Saulina. Bon, je parle de personnes qui travaillent dans l’industrie éditoriale, pas du public général. En parlant de notre public général, revenons au roman. Tu nous as un peu parlé de ton histoire, mais hier soir, on était à Auxerre pour un magnifique événement à la librairie Obliques, et le libraire, Grégoire, t’a demandé pourquoi les gens écrivent des romans. Tu avais une très bonne réponse à cette question. Est-ce que tu adhères encore à ta définition ? Pourrais-tu nous rappeler ce que tu as dit ?

TV : Oui, OK. Je peux le rappeler. Mais tu sais que je peux te donner une nouvelle réponse sur pourquoi on écrit des romans. Parce que… Imagine qu’il y a un type, assis dans un pays inconnu appelé la Lituanie. Et il décide d’écrire un roman inspiré d’une légende du Moyen Âge. Et trois ans après il est assis en France, dans une ville du Moyen Âge avec un éditeur et un libraire, et il parle de son roman…

DM : Tu nous donnes beaucoup de contexte !

TV : Oui, c’est une bonne raison. Une bonne raison pour écrire des romans, et peut être que le prochain…

DM : C’est une bonne raison, si tu écris tu pourras voyager.

TV :évidemment que c’est une manière égocentrique de s’exprimer, mais on peut aussi répondre à ce besoin de communiquer avec d’autres gens, de converser avec d’autres personnes, et de créer ce dialogue, ou polylogue si l’on veut. Mais, même si je pense que l’on parle à chaque lecteur ou lectrice séparément –j’espère qu’il y aura plus d’un lecteur pour ce roman–, c’est une forme de dialogue. Il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas raconter, même à ses amis ou à sa famille, et qui son des choses importantes, voire les plus importantes. Mais quand tu es confortable dans un canapé ou encore plus confortable dans un bar et que tu parles à des amis… Et que tu parles de sujets pas forcément faciles, il y a beaucoup de choses que tu ne peux pas dire directement, et qu’on laisse à la littérature parce qu’on ne peut pas les exprimer en quelques phrases ou en une soirée. Même si l’on boit beaucoup de vin ou de bière, tu n’as pas assez de temps pour dire les choses les plus importantes. Donc on écrit de la littérature juste pour dire les choses que l’on pense devoir dire, mais que l’on craint peut-être de dire quand quelqu’un nous regarde, et que l’on parle face à face. C’est pour cela que la littérature est si importante pour moi. Mon prochain roman parlera de Hawaii, je pense, parce que je veux visiter Hawaii. Bon, je vais donner une réponse un peu plus sérieuse, mais je ne suis pas sûr qu’elle soit vraiment plus sérieuse. C’est vrai que j’y pense beaucoup. La littérature pour moi est un dialogue. Oui,

DM : J’ai beaucoup de questions ! Cela dit, en t’entendant parler, j’aimerais revenir sur un point très technique et superficiel, mais je pense que ce sera le seul moment de ma vie où je pourrai poser cette question, et cette question est pour vous deux.

TV : Tu peux écrire un roman au lieu de poser la question.

DM :. Des éditeurs français et étrangers vont en Lituanie et reviennent avec des idées. C’est une excellente façon de créer des liens, des liens forts entre éditrices, éditeurs, écrivains, et ainsi de suite. Mais il est assez rare [pour nous] de rencontrer des Lituaniens, des auteurs et des éditeurs lituaniens. Tu as mentionné que pour toi la littérature est un dialogue. En France, si tu as fait des études de littérature et que tu entends parler de littérature et de dialogues, tu penses automatiquement à quelque chose. Ç’en est presque un réflexe Pavlovien. Tu penses à Mikhaïl Bakthine. Donc est-ce que vous connaissez… [Tomas et Saulina hochent la tête.] Donc ce n’est pas qu’en France qu’on nous oblige à lire Mikhaïl Bakhtine ? Je suis très content, tu es le premier écrivain avec qui je travaille qui connaît Mikhaïl Bakhtine. Donc, Saulina, tu as un peu travaillé Mikhaïl Bakhtine et le dialogisme ? Ce serait un roman très ennuyeux, tu verras. Ne vous faites pas trop d’espoirs. Il est assez rare de parler de littérature lituanienne et nous en sommes très contents. C’est en partie grâce à l’Institut Culturel Lituanien puisqu’ils ont organisé une

SK : Je n’ai pas vraiment travaillé cet auteur, mais je l’ai un peu étudié pendant mes cours à l’université car j’ai fait des études de philologie lituanienne et de théorie de la littérature. C’est pour cela que je connais un peu qui il est.

DM : Donc on parle des formalistes Russes aussi en Lituanie, et pas qu’en France ?

TV : Non, je connais Bakthine car il est beaucoup cité en anthropologie, anthropologie moderne.

DM : OK.

TV : Et je travaille un peu l’anthropologie puisque je suis historien dans ma vie de tous les jours. Bakhtine est assez populaire, il serait difficile de ne pas savoir qui est Bakhtine.

DM : Bon, je dis cela pour notre audience qui ne saurait pas qui est Bakhtine, je n’en parlerai pas beaucoup, mais tu as mentionné le concept de dialogue. Chez Bakhtine il y a un concept de dialogue avec une autre définition. Ce sont plusieurs voix dans un seul flux de texte. Et tu as parlé du dialogue entre l’auteur et le lecteur. C’est exact ?

TV : Oui.

DM : Mais maintenant que j’y pense, ton nouveau roman, comme tu l’as déjà dit, est plutôt un monologue et pas un vrai dialogue, et c’est presque un monologue théâtral. Je me demandais, as-tu écrit pour le théâtre ?

TV : Non, je n’écris pas… Je rêvais de le faire, je dois le dire. J’ai écrit une pièce pour une émission radio. Mais ça n’a pas eu de succès. Tout le contraire. Donc j’ai arrêté.

DM : Donc au lieu de parler de ce que tu ne fais pas, parlons de ce que tu fais. J’ai toujours l’impression que les auteurs… Leur façon d’écrire s’informe de ce qu’ils font dans la vraie vie. Tu as dit que tu es historien, et j’ai lu ton roman avant de connaître ton sujet de recherche. Je savais que tu étais académicien, mais je pensais que tu travaillais sur le Moyen Âge, à cause du roman. Et en tant que lecteur, je ne suis pas sûr… Parce que ton principal sujet de recherche est l’ère Soviétique en Lituanie, c’est ça ?

TV : Oui.

DM : En tant que lecteur, je ne sais pas quel est l’influence de ta pensée… Ou de ta connaissance de l’époque Soviétique sur ton roman. Comment est-ce qu’elle a façonné ton écriture de ce roman ?

TV : Je pense que l’on peut lire ce livre sans aucune connaissance de la Lituanie, ou de l’histoire lituanienne, ou de l’occupation Soviétique. Même si je voudrais que les gens en sachent plus sur la Lituanie et sur l’occupation Soviétique puisque cela a façonné non pas mon écriture, mais le destin de mon pays, et d’une façon très tragique. Cela fait partie de l’histoire. Mais ma perspective historique, en effet, était importante pendant que j’écrivais ce roman, et elle l’est dans tous mes écrits, même si je voudrais préciser que je n'écris pas de la littérature historique, puisque je peux le faire au quotidien dans mon métier. Cela ne m’intéresse pas de faire la même chose en littérature puisque je le fais de lundi à vendredi, donc samedi je peux m’asseoir et écrire quelque chose de plus… Pas de plus intéressent, mais de différent pour moi. Mais quand même, mon identité est celle d’un historien. Et je pense à nos problèmes quotidiens, problèmes sociaux, culturels, politiques… J’y pense toujours dans un contexte historique, je ne peux pas l’éviter.

DM : Mais, par exemple, en tant que lecteur, il est difficile pour moi de savoir quel est le contexte historique de ton roman, puisqu’il pourrait… Je dirais que ça pourrait se passer après la deuxième Guerre mondiale, jusqu’à l’actualité. Est-ce qu’il pourrait… ? Non, je ne pense pas que ça pourrait se passer avant la deuxième Guerre mondiale. As-tu une idée précise ? Est-ce que, pour toi, c’est un roman contemporain ? Je veux dire, ça se passe dans notre monde.

TV : Oui, bien sûr. Bon, en réalité c’est un roman hors d’un cadre temporel. Je pense que c’est une histoire atemporelle, je dirais, mais qui fait référence à la réalité. À une histoire qui a vraiment eu lieu. Il y a dix ans une fille a été kidnappée et brûlée dans le coffre d’une voiture. Donc le début, c’est la vraie histoire, mais j’ai ensuite coupé mes liens avec la réalité et j’ai juste écrit ce que je voulais écrire, ce qui était le plus important pour moi, au-delà de répéter ou d’imiter la réalité. Je n’aime pas cet adage qui dit que l’art imite la réalité. Je pense que l’art a des fonctions beaucoup plus fortes et beaucoup plus intéressantes que d’imiter la réalité, il crée son propre monde qui a une influence sur notre réalité. Ainsi que la réalité a une influence sur l’art. Mais oui, comme je disais, ce n’est pas juste une imitation de la réalité, ce qui ne serait pas très intéressant. Même si le roman était, disons, un roman réaliste, je pense qu’il ne chercherait pas à imiter la réalité. Mais si tu cherches un contexte historique pour ce roman, je dirais que c’est plus lié à l’histoire française qu’à l’histoire lituanienne, puisque j’ai vraiment utilisé des références à l’histoire de la France, plus spécifiquement à la Dynastie Carolingienne et à Charlemagne. J’ai lu beaucoup de livres à ce sujet. Mais comme tu disais, je ne suis pas un expert du Moyen Âge. Je pense que si des experts du Moyen Âge en France lisaient ce livre, ils trouveraient peut être quelques erreurs. Je ne sais pas, car je ne pense pas être un expert.

DM : Je ne pense pas qu’il y ait des erreurs, puisque ton livre… Tu t’inspires de certains évènements mais tu ne cherches pas à les décrire précisément.

TV : Oui, exactement.

DM : Je devrais préciser quelque chose. Une idée qui m’est venue en commençant… Pas en commençant mais pendant que je lisais ton livre. Comme tu l’as dévoilé, Saulina, ça parle de guillotine. Bon, il y a une mention de la guillotine mais, comme tu le disais, il y aussi une référence à Saint-Denys, un saint qui a perdu sa tête. Mais Saint-Denis a aussi été, à un moment, l’endroit où les rois étaient sacrés. Et je trouve cela marrant qu’ils aient décidé de sacrer des rois à Saint-Denis, car Saint-Denys a perdu sa tête. Et les rois français… Bon, techniquement un seul roi français a été décapité. Donc c’est une ironie qui ne m’était jamais venue à l’esprit, le fait que l’un des saints de la monarchie française c’est quelqu’un qui a été décapité. Ils auraient dû… S’ils avaient lu de quoi parlait le film ils auraient été moins surpris quand la guillotine lui a coupé la tête. Bref, revenons à ton…

TV : Tu sais qu’on peut couper cette partie ? [Rires] N’en dis pas trop !

DM : Comme je dis, ceci n’est pas scénarisé, ni édité, et c’est enregistré en conditions d’émission directe. Donc nous aurons sans doute quelques surprises. Hier soir tu nous disais que ce roman parle des faux prophètes et du fait que nous approchons sans doute la fin des temps. Qu’est-ce que la fin des temps selon toi, Tomas Vaiseta ?

TV : Si c’est selon moi, donc je suis aussi un faux prophète puisque je ne connais pas l’avenir. Je peux juste deviner. Jouer au jeu de deviner quel sera notre avenir. Mais oui, je pense que le personnage principal, Charlie, est un faux prophète, puisqu’il déclare que nous arrivons à la fin du monde et il en est très déçu. Il n’a aucun espoir en l’humanité et il ne voit plus qu’un avenir très triste. Je ne donne pas une réponse très claire dans mon livre. Qu’est-ce que cela veut dire, la fin du monde ? Mais j’y pensais beaucoup en écrivant ce roman, et j’y pense encore plus en l’ayant fini, puisqu’il a également ouvert une nouvelle voie pour moi. Ce que je veux… Non, pas ce que je veux dire, mais ce que Charlie essaye de dire à ma place –puisque ce monologue de Charlie est, en premier lieu, un monologue pour moi, non seulement pour le lectorat mais pour moi aussi…

Il [Charlie] me disait quelque chose et je crois que je suis arrivé à la conclusion que nous témoignons la fin de l’ère, ou de l’époque, des Lumières, qui peut être définie par trois composants principaux : l’invention de la machine à vapeur, qui a changé l’économie et les modes du travail. La révolution industrielle a eu lieu, et par son biais le monde a changé complètement, radicalement. Le deuxième composant c’est l’invention de l’humanisme comme système politique et philosophique –philosophique d’abord. Ce système déclarait que Dieu n’était plus au centre de tout. Et ainsi ce sont les êtres humains, l’humanité, qui est au centre. Ce qui veut dire que nous ne devons pas attendre une décision de Dieu sur le type d’ordre politique qui devrait régir sur Terre. Ce sont les gens peuvent décider. Et après la Shoah et la crise climatique que nous vivons actuellement, nous ne croyons plus en l’humanité comme il y a deux-cents ans. Et le troisième élément c’est un ordre politique. Les Lumières, je dirais, par le biais de la Révolution française –mais pas seulement par la Révolution française, bien sûr– ont créé ce nouvel ordre politique que nous appelons la démocratie libérale. Il y a évidemment d’autres ordres politiques, malheureusement il y a eu des totalitarismes, qui, d’une certaine façon, sont eux aussi liés à la Révolution française. Par exemple, les Bolchéviques imitaient des révolutionnaires du xviiie. Et nous voyons que ces faux qui ne cherchent pas notre paix, ils cherchent plutôt à approfondir notre anxiété de plus en plus, puisque leur but est juste d’obtenir plus de pouvoir. Ils ne veulent pas nous sauver, ils veulent diriger. C’est leur seule motivation, je dirais.

Et ces faux prophètes… Revenons à mon livre. Charlie est aussi un faux prophète, mais il en est un tout petit. Et j’ai créé ce petit faux prophète car je voulais me moquer des faux prophètes, puisque je pense que le rire, l’ironie, le sarcasme, le grotesque, l’absurde, sont les instruments les plus efficaces contre l’autoritarisme politique, le totalitarisme et contre tout acte antidémocratique. Donc on devrait peut-être changer un peu la façon de penser à nous-mêmes. Mais pour moi, le plus intéressant est le troisième composant. Si les Lumières ont créé la démocratie libérale, que produira cette ère « post-Lumières » ? Quelle sera cette nouvelle époque ? Je ne sais pas, je parle un peu comme un faux prophète, mais je n’en suis pas un, précisément parce que je ne sais pas. Mais en regardant ce qui se passe actuellement dans la vie politique, dans l’arène politique globale, je me disais que ces faux prophètes deviendront des chefs d’état. Encore une fois, dans un contexte historique, ceci n’est pas nouveau puisque pendant le déclin de tout empire il y a toujours un âge doré des faux prophètes. Mais le plus souvent ils étaient les conseillers des chefs d’état, pas les chefs d’état. J’adore cet exemple : Raspoutine était le conseiller du Tsar, il n’était pas Tsar, et ainsi de suite. Il y a, bien sûr, quelques terribles et tragiques exceptions, comme Hitler ou Lénine. Je pense qu’ils étaient aussi des faux prophètes, puis ils sont devenus chefs d’état.

On a eu ces sociétés totalitaires et des millions de meurtres. Mais maintenant, dans l’actualité, nous revoyons ces faux prophètes qui ne sont pas les conseillers de chef d’état. Ils deviennent des chefs d’état. Je pourrais donner quelques exemples mais je ne suis pas sûr de vouloir dire les noms. Mais il y a un exemple très évident des élections de cette année, au niveau global, très récemment.   siècle. Malgré cela, l’ordre politique dominant pendant deux-cents ans a été… Je ne devrais pas dire « a été » mais « est », la démocratie libérale. Je pense que ces trois principales caractéristiques des Lumières sont en train de changer en ce moment, puisque la machine à vapeur est remplacée par l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle est en train de transformer notre économie. Elle change nos modes de travail. Je ne sais pas si vous utilisez l’intelligence artificielle dans l’industrie éditoriale, mais on l’utilise déjà dans les domaines scientifiques. On l’utilise déjà dans tous les champs. L’humanisme en tant que système politique et philosophique est transformé par le post-humanisme, puisque nous sommes déçus par l’humanité après la Shoah, et à cause des changements climatiques… de la crise climatique. Nous sommes vraiment déçus de ce qu’est devenue l’humanité. Et maintenant nous nous disons, « OK, l’humanité n’est qu’une espèce entre beaucoup d’autres, et peut être qu’elle n’est pas la plus importante, puisqu’elle est assez maléfique en réalité. Tu sais, elle a fait des trucs assez terribles pendant le siècle passé ».

DM : En t’entendant parler je me rends compte qu’Aux forges de Vulcain nous avons publié beaucoup de romans qui mettent en garde contre les « hommes providentiels ». D’un point de vue conceptuel, quelle est la différence… les différences, entre un homme providentiel et un faux prophète ?

TV : L’homme providentiel a raison, le faux prophète…

DM : avoir raison…peut L’homme providentiel

TV : avoir raison…peutIl

DM : Et le faux prophète a toujours tort…

TV : Le faux prophète s’en fout !

DM : Il s’en fout.

TV : Il s’en fout, car il s’en fout de l’avenir… Il a juste une autre…

DM : Je vois de quoi tu parles ! Si cela m’échappait avant, ce n’est plus le cas. C’es très… Merci beaucoup. Puisque tu clarifies quelque chose sur quoi on travaillait depuis un certain temps. Et en réalité, le faux prophète élu il y a quelques semaines n’est pas vraiment un homme providentiel. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi, mais maintenant je comprends, grâce à toi.

J’ai une question pour Saulina. Tu es éditrice, je sais que tu travailles sur le texte et pas forcément sur la partie marketing et communication. Mais j’ai une question à laquelle tu pourras peut-être répondre, si ce n’est pas le cas, dis-le-moi.  Le roman de Tomas est sorti en Lituanie, il est sorti en France. En France, nous adaptons notre discours au lectorat Français. Nous cherchons des façons d’attirer leur attention vers ce roman. Et la façon dont vous l’avez présenté au lectorat lituanien est sans doute très différente. Comment en avez-vous parlé en Lituanie ? Comment, en tant que maison d’édition… Quels sont les mots que vous avez utilisés pour attirer l’attention du lectorat sur ce roman ? Est-ce que vous avez juste dit « c’est le roman de Tomas Vaiseta, notre plus grand romancier contemporain. Vous devez le lire. Pas besoin d’en dire davantage » ? Ou avez-vous un peu développé ce discours ?

SK : En réalité, Tomas est assez reconnu en Lituanie, puisqu’il a déjà écrit… Ce roman est son troisième ouvrage de fiction, et il a également écrit trois monographies, des travaux académiques. Donc, d’une certaine façon, tu as raison, puisqu’à la sortie de ses livres les gens le connaissent déjà et, je pense, ils font déjà confiance à son écriture. Pour moi, quand ce roman est sorti, c’était un grand évènement. Et je pense que le lectorat lituanien l’a ressenti de la même façon. Mais en effet, comme tu le dis, nous avons utilisé quelques mots. Nous avions parlé d’un « théâtre qui va jusqu’à la fin, jusqu’à la mort ». Et je crois que cette phrase était très attrayante pour le lectorat lituanien, puisque je ne pense pas qu’elle ait été utilisée auparavant. Donc oui, c’était ça le principal.

TV : Et tu as utilisé des chats.

SK : Et nous avons également utilisé des chats. Évidemment. Des chats, puisque je pense que tout le monde adore les chats. La plupart des gens.

TV : Sauf les gens qui aiment les chiens. [Rires]

SK : Sauf les gens qui aiment les chiens, oui.

DM : La personne qui s’occupe des relations libraires sur ce roman est Joanie, elle a lu et adoré le roman. Quand elle a vu nos premiers éléments de communication, et qu’il n’y avait pas de chats, elle nous a dit : « Vous avez un roman avec des chats et vous ne parlez pas de chats, vous n’imprimez pas des images de chats, vous n’envoyez pas des dessins de chat partout ! » Donc elle a commencé à le faire, et cela marche très bien. En France nous avons beaucoup d’amateurs de chats. Et je pense qu’ils aimeront le livre puisqu’il en dit beaucoup, des chats, et… Les chats sont-ils nos nouveaux dirigeants ? C’est une question, puisque nous parlions de dirigeants et de pouvoir. Les chats sont-ils les nouveaux dirigeants de l’humanité ?

TV : Tu sais ? Culturellement, les chats ont été traditionnellement représentés comme des êtres maléfiques, plutôt qu’au service du bien.

DM : Oui, très proches du diable.

TV : Exactement. Et je voulais changer cette représentation. Je n’aime pas voir les chats comme des êtres maléfiques, et dans ce roman je dis que les chats sont les vrais défenseurs d’un monde meilleur, d’un monde plus éclairé. Et ils se battent contre le mal. Et le mal c’est un petit oiseau qui s’introduit dans le roman, et qui commence à semer le chaos. Tout le monde comprend qu’il est méchant, qu’il est le vrai mal, même s’il est tout petit. Donc oui, les chats représentent le pouvoir du bien. Mais les chats ont plusieurs significations, puisque dans ce roman, d’une certaine façon, ils aident Charlie à faire le deuil de sa fille, car après la mort sur scène de chaque acteur, un nouveau chat arrive au théâtre. J’ai une histoire intéressante. Après avoir fini ce roman, on parlait à la mère de Saulina, qui nous a raconté que quand sa mère est décédée, un nouveau chat est arrivé à sa maison. Elle n’a pas dit que le chat était l’incarnation de l’âme de sa mère, ou quelque chose comme ça. Mais la signification symbolique pour moi était très claire : quand on perd quelqu’un qu’on aime, on obtient un chat. Et pour moi… Ce n’est pas une blague. Je n’essaye pas du tout de me moquer, je pense que c’est vrai. Les chats nous aident à traverser la douleur et le deuil.

DM : Je suis d’accord avec toi, mais je me demande si cet amour récent de l’humanité envers les chats n’est pas également un signe de la post-humanité. Petit à petit nous… Ou certaines personnes en tout cas… Je pense qu’il y aura un retournement à un moment, et nous devrons alors peut-être manger les chats… Je me rends compte que l’un de ces faux prophètes disait justement, en parlant des immigrés dans son pays, qu’ils « mangeaient des chats et des chiens ». Mais nous partageons le monde, et nous imitons peut-être les chats. Ou en tout cas nous considérons qu’ils ont peut-être compris des choses que nous avons oubliées. En y pensant, et revenant à ce que tu as dit, Saulina, il est vrai que ce qui a attiré mon attention quand tu m’as présenté ce roman, c’étaient deux choses : l’aspect théâtral, puisque Aux forges de Vulcain était une troupe de théâtre avant d’être une maison d’édition. Mais aussi le fait que l’un des co-fondateurs des forges est historien, médiéviste. Je trouvais cela… providentiel, de trouver autant de points d’intérêt dans ce roman. Et je suis très content d’être ici aujourd’hui. Le livre est sorti. Vous ne parlez pas français, mais est-ce que vous connaissez quelques mots en français ?

TV : C’est une question pour moi ?

DM : Oui ! Pour vous deux.

TV : Je connais juste trois mots… Bien sûr : « Mon ami, merci, bonjour, bon appétit ». Et si j’avais un peu plus de temps j’aurais peut-être quelques termes académiques. Tu sais… Pierre Bourdieu, oui, je connais beaucoup… Par exemple, mon historien préféré est Jacques Le Goff. Et beaucoup d’autres, donc je pense connaître quelques mots qu’ils utilisent. Mais pas en direct dans le podcast. Tu aurais dû me donner une quinzaine de minutes… [Rires]

DM :  C’était complètement improvisé, et tu es excellent ! Tu as un bon accent, donc continue ! Et j’apprendrai le lituanien. Ce n’est pas une blague ! Je ne sais rien dire pour l’instant…

TV : Tu sais dire « labas ».

DM : « Labas. » Et comment est-ce qu’on dit « au-revoir » en lituanien ?

TV : « Viso gero. »

DM : Donc, au revoir. C’est la fin de notre émission. Merci beaucoup Tomas, merci beaucoup Saulina. Nous reviendrons avec d’autres aventures. À une prochaine !

Un nouveau site ! Mais quel intérêt à l'ère des réseaux ?

Logo forges

Les forges de Vulcain ont un nouveau site ! Il est beau, il est propre, mais à quoi bon passer son temps à mettre à jour un site web quand on a des réseaux sociaux ? On va vous parler un petit peu de Web 2.0, de littératie numérique et de décentralisation à l'ère de l'algorithme, parce que les forges, c'est une maison d'édition, mais c'est aussi un acteur au sein d'un réseau d'informations qui circule globalement, que nous appelons Internet, dont les dynamiques évoluent de façon vertigineuse depuis quelques années.

 

Il est fort probable que vous soyez tombé sur cet article grâce à un hyperlien croisé sur un réseau social (Facebook, Instagram, Threads, Bluesky ou même LinkedIn, les forges sont partout). Mais pour les forges il est important d'avoir un espace propre, hébergé en dehors de ces espaces relativement récents que sont les réseaux sociaux. C'est pour cela que nous avons cherché à renouveler nos solutions numériques en ce qui concerne notre site web.

Nous avions, auparavant, un site WordPress (un peu ringard, acceptons-le), développé par un prestataire externe qui ne pouvait plus le mettre à jour de façon convenable (ce qui explique pourquoi il ressemblait à un blog des années 2010 : c'en était un). Mais ce changement n'est pas uniquement esthétique. Le site est désormais développé sur Biblys, un logiciel libre spécialisé pour des acteurs du livre (médiathèques, librairies et... maisons d'édition !) Grâce à l'aide de Clément Latzarus (développement web) et de Quentin Chapelain (habillage graphique) nous avons trouvé une solution plus adaptée à nos besoins et à ceux du monde du livre actuel, plus alignée à nos convictions sur la décentralisation du Web.

Mais qu'est-ce que décentraliser le Web ? Avec la croissance des réseaux sociaux, nous consommons de plus en plus de contenu modelé sur / ciblant nos goûts et notre démographie. En termes très simples, nous ne voyons que ce que nous voudrions voir ; nous nous limitons à nos affinités et à celles de notre cercle le plus proche. Les algorithmes des réseaux sociaux créent une bulle artificielle et confortable de contenu toujours prévisible. Les liens sur lesquels nous cliquons mènent des réseaux vers des sites tiers, mais nous revenons toujours au point de départ. Ce qui était un réseau d'hyperliens horizontaux est devenu un archipel de grands continents numériques (chaque réseau est un continent) qui mène vers des petites îles, les sites externes, de moins en moins visités. Même les réseaux tendent vers une hypercentralisation : Instagram, Facebook, Threads, WhatsApp et Messenger appartiennent tous à Meta. Ce nouveau réseau d'appareils "intelligents" interconnectés est inédit dans l'histoire des sciences de l’information et de la communication. Aujourd'hui, plus que jamais, des ordinateurs, mais aussi des tablettes, téléphones, montres intelligentes, des enceintes à intelligence artificielle (comme Alexa), et même des appareils électroménagers sont connectés au Web. L'accès immédiat à ces réseaux sociaux qui centralisent le flux et qui monopolisent le temps de navigation des usagers est un phénomène nouveau qui caractérise ce qu'on appelle le Web 2.0. Avec l'arrivée de l'intelligence artificielle dans l'équation et la popularisation des crypto monnaies on commence même à parler d'un Web 3.0.

Les réseaux sociaux sont conçus pour monopoliser notre temps, leurs créateurs veulent qu'on y passe des heures, sans sortir du feed. Leurs interfaces sont faciles à utiliser, ce qui fait que nous savons, de moins en moins, comment fonctionnent les outils informatiques avec lesquels nous interagissons au jour le jour. La tendance dominante vers une ergonomie pour les utilisateurs a créé un manque de ce qu'on appelle la littératie numérique : les utilisateurs savent de moins en moins comment marchent leurs logiciels, leurs téléphones, leurs ordinateurs, comment est conçu un algorithme. Pour créer un espace de partage sur Internet nous nous penchons sur des solutions limitées et souvent contrôlées des réseaux sociaux. Il est encore possible de coder son propre site en HTML pour y mettre ce que l'on veut, mais à quoi bon ? Il faut payer l'hébergement du site, avoir les compétences numériques pour le maintenir à jour... Facebook et Instagram nous permettent de partager textes et images sans apprendre à coder. N'est-ce pas ? Quel est le bémol ? Nous renonçons à notre autonomie éditoriale en ligne. Les réseaux sociaux ne sont pas gratuits. Comme on le dit si souvent : quand quelque chose est gratuit, c'est vous le produit, ou dans ce cas-là, vos données.

En centrant la communication sur le site Web en tant qu'espace principal de partage des évènements, des nouveautés, des articles et entretiens, les éditions Aux forges de Vulcain cherchent à contribuer à la décentralisation de leur existence numérique. Les réseaux sociaux sont importants, certes, ils nous donnent de la visibilité. Mais tout ce que nous y publions appartient à des corporations dont l'usage de nos données reste nébuleux et sans aucun doute malhonnête. En publiant sur notre propre site, avec une solution Open Source gérée par des personnes réelles à qui nous faisons confiance, nous essayons (à notre échelle, bien modeste) de transformer les dynamiques actuelles du web pour revenir à un échange plus horizontal, plus autonome, moins dépendant de la privatisation massive du web par l'algorithme et les réseaux.

- Alejandro, chargé d'entretenir la flamme primordiale aux forges.